Déclaration – Investir dans les oubliés et les méconnus : mettre en place des soins de longue durée durables et centrés sur la personne à la suite de la COVID-19

Copenhague (Danemark), le 23 avril 2020, Dr Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe

Déclaration à la presse du docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe

Copenhague (Danemark), le 23 avril 2020

Bonjour.

Merci de vous joindre à nous aujourd’hui.

Au cours de ces 3 derniers mois, depuis que les premiers cas ont été signalés, le Bureau régional de l’OMS pour l’Europe a travaillé 24h/24 pour aider les pays à se préparer à la COVID-19 et à intervenir. Dans le cadre de cette aide, nous avons envoyé des équipes dans les pays pour leur délivrer des conseils et leur offrir un soutien sur le terrain. L’Espagne était d’ailleurs l’un de ces pays. Hier, j’ai reçu un rapport de notre deuxième mission dans le pays qui indique une baisse encourageante des nouveaux cas de COVID-19. La disponibilité accrue des tests, la capacité des unités de soins intensifs et les mesures de distanciation préventives ont permis à l’Espagne d’assouplir précautionneusement les restrictions.

Tout signal indiquant que le virus est en train d’être maîtrisé, géré, atténué est un bon signal. Or, mon message d’aujourd’hui reste celui de la prudence.

Le relâchement pourrait être notre pire ennemi en ce moment. Nous ne pouvons nous permettre de croire que nous sommes en sécurité. Toute mesure visant à assouplir la distanciation sociale et physique DOIT être soigneusement examinée et mise en œuvre progressivement.

Le public doit comprendre les risques intrinsèques alors que les pouvoir publics, et on le comprend aisément, tentent de relâcher la pression qui s’accumule dans les sociétés, et qui pèse sur nos économies respectives.

Ce n’est pas une « sortie » : il n’y a pas de voie rapide vers la nouvelle normalité. La question n’est pas de savoir s’il y aura une deuxième vague.

La question est de savoir si nous allons tenir compte du plus grand enseignement que l’on ait pu tirer jusqu’à présent, à savoir œuvrer entre les vagues au renforcement de la préparation et de la mobilisation rapide face aux scénarios les plus pessimistes. Tout retour à la nouvelle situation de normalité doit se fonder sur une évaluation des risques, se faire progressivement et en tenant compte du Cadre de transition de l’OMS/Europe présenté aux ministres de la Santé vendredi dernier.

La Région européenne représente près de 50 % de la charge mondiale des cas de COVID-19, soit plus de 1,2 million. Malheureusement, plus de 110 000 personnes ont perdu la vie. Depuis mon dernier bilan, il y a 7 jours, les nouveaux cas ont augmenté de plus d’un quart, et les décès d’un tiers.

Les pays de la partie orientale de la Région (Fédération de Russie, Turquie, Ukraine, Ouzbékistan et Bélarus) ont vu leur taux de nouveaux cas augmenter au cours de la semaine écoulée. La semaine dernière, nos équipes étaient au Bélarus, et la semaine prochaine, nous enverrons des missions au Tadjikistan et au Turkménistan.

Ne vous y trompez pas, la situation reste particulièrement tumultueuse, et elle le sera encore pendant un certain temps.

Sur les 10 pays du monde qui ont signalé le plus grand nombre de nouveaux cas au cours de ces dernières 24 heures, 6 se trouvent dans la Région européenne.

J’appelle tous les pays à garder un contrôle strict sur les stratégies dont l’efficacité est avérée pour stopper ce virus, à savoir l’identification, l’isolement, le dépistage, la recherche des contacts et la mise en quarantaine, tout en surveillant constamment l’efficacité des mesures prises.

La COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée

Permettez-moi d’aborder maintenant la situation particulièrement préoccupante observée ces dernières semaines dans les établissements de soins de longue durée de la Région européenne et du monde entier.

Selon les estimations des pays de la Région européenne, jusqu’à la moitié des personnes décédées des suites de la COVID-19 résidaient dans des établissements de soins de longue durée. Il s’agit d’une tragédie humaine effarante. Aux nombreuses personnes qui ont perdu un être cher, mes pensées sont avec vous.

Toutes les personnes décédant des suites de la COVID-19 dans ces établissements ont le droit d’être soignées et de recevoir des soins de fin de vie, notamment pour soulager les symptômes avec les médicaments adéquats, entourées de leurs proches.

Les personnes qui souffrent d’un handicap physique et/ou mental, souvent à un âge plus avancé, sont particulièrement vulnérables à ce virus. Leur âge avancé, les affections pré-existantes, les difficultés cognitives à comprendre et à suivre les conseils de santé et d’hygiène en raison d’une déficience intellectuelle ou de la démence, par exemple, sont autant de facteurs qui leur font courir davantage de risques.

Aujourd’hui, beaucoup ne peuvent recevoir de visites de leur famille et de leurs amis, et ne bénéficient plus du soutien émotionnel et physique que ces visites leur procurent. Parfois, les résidents sont confrontés à la menace de mauvais traitements et de négligence.

Cependant, et c’est tout aussi troublant, la manière dont ces établissements fonctionnent, la manière dont on administre les soins aux résidents, tout cela constitue des voies de propagation du virus. Le rôle du secteur public, à savoir ne laisser personne de côté, ne peut être surestimé.

Même chez les personnes très âgées, fragiles et souffrant de multiples maladies chroniques, un grand nombre d’entre elles ont de bonnes chances de guérir si elles sont bien soignées.

Cette pandémie a mis en lumière les segments négligés et sous-estimés de notre société. Les soins de longue durée ont souvent été notoirement négligés dans la Région européenne. Mais il ne devrait pas en être ainsi. Pour ce qui est de l’avenir, de la transition vers une nouvelle normalité, nous disposons d’arguments clairs en faveur de l’investissement dans l’instauration de systèmes de soins de longue durée intégrés et centrés sur la personne dans tous les pays.

Nous avons hérité des valeurs, des opportunités et des droits européens qui nous distinguent des générations qui nous ont précédés
– nous devons donc en prendre soin. Il est de notre devoir de ne laisser personne de côté. Nous devons emboîter le pas.

Alors que devons-nous faire ?

  1. Donner aux soignants les moyens d’agir.
  2. Modifier le mode de fonctionnement des établissements de soins de longue durée.
  3. Instaurer des systèmes qui accordent la priorité aux besoins des populations.

Concernant mon premier point :

les personnes dévouées et compatissantes qui travaillent dans les établissements de soins de longue durée, et qui sont si souvent surmenées, sous-payées et sans protection, sont les héros méconnus de cette pandémie.

Nous devons faire tout notre possible pour que ces personnels disposent d’équipements de protection individuelle et d’autres fournitures essentielles pour se protéger et protéger les personnes dont ils s’occupent, pour qu’ils soient rémunérés de manière appropriée pour les longues heures de travail et le travail difficile qu’ils effectuent, et pour qu’ils aient la formation appropriée pour effectuer leur travail. L’OMS dispose ici de ressources de formation en ligne et de recommandations pour vous aider.

Nous devons changer l’environnement dans lequel les soins sont dispensés, en mettant à disposition des niveaux de ressources et de personnel appropriés.

Deuxièmement : il est urgent de repenser et d’ajuster la manière dont les établissements de soins de longue durée fonctionnent aujourd’hui et dans les mois à venir. Cela signifie qu’il faut trouver un équilibre entre les besoins des résidents et de leur famille, et veiller à ce que les services soient gérés en toute sécurité, et que le personnel soit protégé et bénéficie d’un soutien adéquat.

  • Établir des plans globaux de lutte anti-infectieuse.
  • Accorder la priorité au dépistage de tous les cas suspects chez les résidents et le personnel des établissements de soins de longue durée.
  • Fournir des équipements de protection individuelle, des formations et des fournitures et équipements médicaux essentiels aux maisons de soins.
  • Isoler tous les cas, mettre en place des salles ou des espaces séparés pour les résidents atteints de COVID-19 avant même que les premiers cas apparaissent, et veiller à que les résidents puissent être hospitalisés et sortir ensuite de l’hôpital en toute sécurité.

Ces mesures contribueront à réduire la propagation du virus et permettront la réouverture aménagée de ces établissements aux familles et aux visiteurs.

Et mon troisième point : dorénavant, les systèmes de soins de longue durée de qualité, dotés de ressources, solides et durables, qui donnent la priorité aux besoins et à la dignité des personnes, doivent être notre norme d’excellence. L’engagement des plus hauts niveaux des pouvoirs publics, dans tous les secteurs de notre société, est nécessaire à cette fin. Il importe de renforcer la coordination et la continuité entre les services sociaux et de santé, ainsi qu’entre les systèmes d’information. Nous devons faire participer ensemble les médecins, le personnel infirmier, les pharmaciens, les professionnels des services sociaux et des autres services de soins de santé, les assistants sociaux et, surtout, les résidents des maisons de soins eux-mêmes, à la prise de décisions et à la prestation de soins.

Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. Partageons les expériences pertinentes en matière d’approches de soins pansociétales et communautaires. L’OMS est prête à aider les pays à mettre en place des systèmes de soins de longue durée intégrés et centrés sur la personne.

En conclusion, permettez-moi de réitérer mon appel. Ensemble, dans tous les secteurs et à tous les niveaux de la société, nous devons agir :

  1. maintenant afin que les services dispensés dans les établissements de soins de longue durée soient sûrs et d’un grand soutien ;
  2. dans les semaines et les mois à venir afin que le personnel soit formé pour dispenser des soins sûrs et efficaces et habilité à le faire ;
  3. à long terme, afin que toutes les personnes prises en charge par un système de soins puissent faire entendre leur voix et soient valorisées.

Je vous remercie.