En direct des avant-postes de la migration : entretien avec le chef des services de santé de Lampedusa
Le docteur Bartolo est le chef des services de santé à Lampedusa, une petite île italienne de moins de 6000 habitants, connue dans le monde entier comme la porte d'entrée méridionale de l'Europe pour les migrants provenant principalement du Moyen-Orient et d'Afrique subsaharienne. Il coordonne les services de santé de l'île depuis 1990, et est l'un des deux médecins qui portent secours aux migrants à leur arrivée sur le quai de débarquement : « Il n'est normalement pas de ma responsabilité de travailler avec les migrants. Je n'ai jamais reçu un centime pour le faire. Je ne n'ai jamais demandé de compensation financière, et de toute façon je la refuserais. Mais je suis le médecin responsable de la santé sur cette île. »
Lors d'un entretien réalisé par l'OMS/Europe en décembre 2013, le docteur Bartolo a déclaré que son rêve pour l'avenir était de ne plus avoir de morts en Méditerranée. Malheureusement, son rêve est loin de se réaliser. Selon des estimations récentes, des centaines de personnes se sont noyées en tentant de rejoindre l'Europe par la Méditerranée.
Les flux continus et importants de migrants saturent les capacités des systèmes de santé
La fréquence et l'ampleur des flux migratoires à travers la Méditerranée ont considérablement augmenté ces dernières années, car les populations fuient les conflits, la pauvreté et la répression, à la recherche d'un avenir meilleur et plus prospère, en plus grande sécurité.
« Il y a dix jours, nous avons reçu 1 200 migrants en une nuit, » explique le docteur Bartolo. Avec son collègue, il a entrepris un tri initial sur le quai. « La plupart d'entre eux passent des heures dans les navires des garde-côtes après avoir été secourus. Ils arrivent donc trempés jusqu'aux os, et souffrent d'hypothermie. D'un point de vue humain et sanitaire, je préfère opérer un premier tri rapide afin d'identifier ceux qui sont gravement malades et ceux qui sont en meilleur état de santé. »
Alors que les migrants en relativement bonne santé sont emmenés au centre d'accueil, ceux nécessitant des soins médicaux urgents sont généralement transférés dans les établissements hospitaliers de l'île. « Cette semaine, nous avons eu un débarquement très compliqué, avec plus de 20 personnes ayant subi des brûlures graves, » explique le docteur Bartolo. Comme nos services étaient saturés, nous avons demandé de l'aide au ministère de la Santé et aux autorités sanitaires de Sicile, qui ont transporté les migrants par hélicoptère à l'hôpital de Catane [Sicile]. »
Un défi de santé publique évitable
Selon le docteur Bartolo, l'hypothermie et les brûlures dues en majeure partie au contact avec l'essence sont les principaux problèmes de santé qu'il observe chez les nouveaux arrivants : « Plus tard, une fois qu'ils se sont installés dans le centre d'accueil, j'effectue un tri plus précis, avec le médecin du centre, durant lequel nous prêtons attention à d'autres problèmes de santé, comme les maladies chroniques. »
Les troubles mentaux sont également fréquents, en particulier chez les jeunes migrants qui ont été victimes de torture et de violence. « Les jeunes, dès qu'ils ont réussi à atteindre la « terre de la liberté », sont à même de faire face à toutes les situations. Mais plus tard, une fois qu'ils se rendent compte que ce n'est pas la fin de leur périple, les problèmes psychologiques surgissent. »
L'OMS aide les pays à faire face à un large afflux de migrants
L'OMS/Europe collabore avec les pays européens au renforcement des capacités de leur système de santé afin de gérer de manière adéquate les effets des grands flux migratoires sur la santé publique. En 2012, elle a mis en place le projet PHAME (Public Health Aspects of Migration in Europe) relatif à la migration et à la santé publique en Europe, avec le soutien du ministère italien de la Santé, afin de répondre au besoin croissant des pays de résoudre ce problème. L'OMS et les ministères de la Santé concernés ont effectué des missions d'évaluation conjointes en Bulgarie, à Chypre, en Espagne, en Grèce, en Italie, à Malte et au Portugal, pour examiner les besoins de santé des migrants et l'état de préparation des pays pour y répondre.
« Malte est l'un des pays concernés par le problème des migrants. Cette semaine, la communauté internationale s'est soulevée face à cette tragédie qui se déroule en Méditerranée, et a demandé que tous les secteurs interviennent à cet égard. Nous nous félicitons de l'évaluation effectuée par l'équipe de l'OMS de l'état de préparation de Malte à l'afflux massif de migrants qui, d'ailleurs, a mis en évidence la nécessité d'un soutien dans ce domaine. Je remercie l'OMS pour son aide, ainsi que tous les agents des diverses entités qui ne ménagent aucun effort pour répondre à tous les besoins des migrants arrivés à Malte », a déclaré M. Chris Fearne, secrétaire parlementaire pour la santé, ministère maltais de l'Energie et de la Santé.
En Italie, l'évaluation conjointe a conduit à la création d'un groupe qui a élaboré le premier plan d'urgence de santé publique en matière de migration pour la région de Sicile. Le parlement régional sicilien a adopté le plan le 23 septembre 2014. En outre, l'OMS/Europe continue de fournir une assistance technique à l'Italie et à d'autres pays qui sont aux avant-gardes de la migration, afin de relever les défis de santé publique évitables.
Des héros anonymes
« Croyez-moi, nous faisons des miracles ici. » Lorsqu'on l'interroge sur les conditions des agents de santé à Lampedusa, le docteur Bartolo explique que son collègue et les gardes-côtes sont en fait son meilleur soutien : « J'ai de la chance de collaborer avec ces eux, et je sais qu'ils ne me lâcheront jamais. Parfois, je suis tellement occupé que je ne rentre pas chez moi pendant toute une semaine, mais mes collègues ainsi que leur disponibilité permanente et leur professionnalisme me donnent la force nécessaire ».